La scène du
taxeur
de Patrice Salzenstein
avec
Patrice Salzenstein Le narrateur, le taxeur
Ayrton Bénard Gérart, Le public, Dieu
jouée la première fois le 5 janvier 1993
au théâtre de Poche des Nuits Blanches, à Lille
Peu
de lumière (en italique dans le script). Les gens sont assis sur le parterre et
discutent entre eux. Sur la scène, des comédiens jouent leur propre rôle. Il y
en a un qui va mourir à la fin de la pièce. C'est écrit dans le texte de
l'auteur qu'ils connaissent par cœur.
Celui
qui va mourir se nomme Gérart. Il n'a pas peur de la mort, il s'en fout. Il est
payé pour cela. C'est lui l'antihéros.
Le taxeur:
File
moi une clope, enfoiré!
Gérart:
Va
t'faire foutre.
Le taxeur:
Bon.
Tu l'auras voulu...
A cet
instant, un ange descend sur Terre, sur Lille, plus exactement. Il retourne la
cigarette de l'antihéros et celui-ci meurt étouffé par la fumée.
Gérart:
Je
suis mort, je peux donc quitter la scène et aller boire une bière au café du
coin...
Le taxeur:
C'est
ça. Casse-toi!
Du
coup, le taxeur prend une cigarette dans le paquet du mort car ce dernier l'a
oublié dans le texte de la pièce, l'allume et la fume.
Mais
Gérart s'en est aperçu. Il revient réclamer son dû.
Il
faut signaler ici que l'auteur joue aussi le rôle du taxeur, cela permet de
mieux comprendre la suite. (NDLA.)
Gérart:
Eh!
J'aimerais bien récupérer mes clopes!
Le taxeur:
Tu es
mort, qu'est-ce que tu viens foutre ici? D'ailleurs c'est pas prévu comme ça
dans le scénario!
Ici,
c'est l'auteur qui s'exprime par la voix de l'acteur, le taxeur en l'occurrence
Gérart:
J'm'en
fous. J'veux rien savoir!
Il ne
veut rien savoir, et surtout pas le texte minable de l'auteur qu'il aurait dû
apprendre par cœur, mais qu'il n'arrive pas à retenir.
Gérart:
Je
n'sais pas ce qui me retient!
Le taxeur:
O.K.
Calme toi, tiens j'te les rends...
Gérart:
Mais
dis-donc, il en manque une...
Il
n'en dit pas plus. Le public, excédé, est monté sur la scène, et demande à être
remboursé.
Remboursé!
Remboursé!
Le
public est incarné par un personnage de taille moyenne, et d'assez forte
corpulence.
Le taxeur:
Mais
on t'a pas sonné, toi!
Le public:
J'suis
majeur et vacciné moi monsieur. Qui c'est qui va me rembourser mon ticket de
métro? Et la clope de Géro?
Le
taxeur, qui n'est rien d'autre que l'auteur, ou plutôt si, un taxeur:
Au
fait, t'aurais pas un ticket de métro pour moi?
Le public:
C'est
pas le moment de te fiche de ma gueule. Regarde, maintenant plus personne ne
regarde ta pièce.
Le taxeur:
C'est
vrai. Il n'y a plus de public assis.
Dans
le script initial, le public aurait dû se contenter de regarder tranquillement
la pièce, et de ne pas intervenir sur le cours des choses, comme cela se
pratique dans la vie courante.
Un
nouveau personnage est apparu sur la scène, c'est Dieu.
Dieu:
Mes
enfants, la vie est un gigantesque théâtre, et c'est moi, Dieu, qui en écrit le
scénario.
Le
taxeur, intervenant en tant qu'auteur:
Toi,
tu n'est pas payé pour dire des conneries.
Dieu
et le taxeur, c'est-à-dire l'auteur, commencent à s'empoigner comme s'ils
allaient se battre. Evidemment, ils font semblant.
Le
public dédaigne ce combat de géant. Je dis "géant" parce que ce n'est
pas tous les jours que Dieu descend sur terre pour se mesurer à un auteur.
Le public:
Ecoutez-moi
vous autres! -Mais à qui s'adresse-t-il donc?- Moralité, montez donc sur scène,
et demandez aux grands de ce monde -théâtral- de vous rembourser -un ticket de
métro- et tous les rôles se retrouvent chamboulés!
Gérart:
N'empêche
que l'aut'taxeur, i'm'a fumé ma clope! Enfoiré!
Le
public applaudit tout seul. C'est la fin.